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Anaar, le trésor de Kandahar

Il est en Afghanistan un trésor moins enfoui que le lapis lazuli du Badakhshan, ou que l’Emeraude du Panjshir, moins coûteux que le safran aux filaments enflammés, moins destructeur que le pavot assassin, mais tellement plus ancré dans le coeur des hommes, tellement plus évoqué dans la littérature et la poésie, tellement plus reproduit sur les motifs des étoffes ou des enluminures… C’est la grenade, anaar en dari et en pashto (langues nationales d’Afghanistan), et son fief est la perle du sud, Kandahar.

Anciens commerçants de grenade à Kandahar
Commerçants de grenade à Kandahar autour de 1878-1880. Source : wdl.org

Il paraîtrait que ce sont les plus rouges et les plus sucrées de la planète, et les kandaharis la portent comme un étendard et ne se lassent jamais de faire sont éloge. Récemment nous parlions avec une jeune néerlandaise d’origine afghane qui nous disait être de Kandahar. Nous avons immédiatement évoqué les grenades. Elle a éclaté de rire en disant : « Oh ne m’en parlez pas ! On ne peut pas manger une grenade où que ce soit dans le monde sans que mes parents fassent la moue en pestant : hum, cela ne vaut pas les grenades de Kandahar ! »

Source : Mail Afghanistan on Twitter

Oui, car Kandahar a souffert. Beaucoup souffert. Et si elle se relève peu à peu, c’est en s’accrochant à ce qui fit jadis sa fierté, et qui redevient aujourd’hui son empreinte. Deuxième ville de l’ethnie pashtoune après Peshawar au Pakistan, Kandahar a été foulée par Alexandre le Grand, puis conquise par l’empereur hindou Ashoka. Vite convertie à l’Islam, elle est partagée pendant des siècles entre les empereurs de Perse venus de l’ouest, et les empereur Moghols de Delhi, Kaboul et Lahore, qui se la disputent. Berceau d’hommes durs et profondément attachés à leur terre, leur histoire et leur identité, elle a toujours été un bastion de la révolte. Elle le fut pendant l’invasion soviétique dans les années quatre-vingt, et le redevint dès l’occupation américaine. Oasis au milieu de terres arides où ne vole que la poussière, elle a toujours été imprenable. Ce n’est pas un hasard si l’homme qui allait tenir tête aux russes, au pouvoir factice afghan et devenir le cauchemar des américains, Muhammad Omar, que l’on nomma plus tard Mollah Omar, est né dans cette province. Homme libre, jamais arrêté, il s’est battu contre les russes avant d’être nommé commandeur des croyants par une shura (conseil traditionnel). Controversé, c’est malgré tout lui qui a interdit la culture du pavot en Afghanistan, ainsi que, notamment, la pratique du lévirat (obligation pour une veuve d’épouser le frère de son époux), et ramené la sécurité dans les rues afghanes. À voir absolument pour mieux connaître l’homme, au-delà de ce qu’on lui a fait porter comme fardeaux (le mollah Omar était un combattant pashtoune qui luttait pour la liberté de son pays, et il a été associé à Al-Qaida alors qu’il n’en faisait pas partie, mais avait accueilli ses combattants en Afghanistan selon l’hospitalité pashtoune. Il s’est senti profondément trahi par Ben Laden lors des attentats contre le World Trade Center qui ont eu pour conséquence l’invasion américaine en Afghanistan) : Le dernier Calife d’Afghanistan.

De tout cela découle le fait que depuis des décennies, Kandahar a vécu états de sièges et bombardements à outrance, et qu’elle ne se reconstruit seulement que depuis quelques années. Alors que les terres où était cultivée la grenade avaient vu fleurir le pavot, le gouvernement aide depuis 2016 les fermiers en investissant dans des vergers de grenadiers, et en les formant à de nouvelles formes d’agriculture, plus sûres et plus perennes. En Inde, où la grenade Kandahari a toujours été importée (l’empereur Babar en faisait venir spécialement de Kandahar, puis les dirigeants de l’Empire Britannique ont continué à faire de même). Le commerce avec l’Afghanistan avait cessé depuis les conflits et l’avènement de l’opium. Mais les grenades de Kandahar recommencent progressivement à inonder les bazars, non sans difficultés : si le Pakistan a signé en 2010 des accords commerciaux avec l’Afghanistan en autorisant les exportateurs à accéder à l’Inde par la Wagah Border (frontière entre Lahore au Pakistan et Amritsar en Inde), les pakistanais continuent à prélever des taxes excessives sur les produits afghans, et à demander des pots de vin pour laisser passer les convois.

Source : rta.org.af

Autour de Kandahar, les fermiers sont formés à l’agriculture, mais également sensibilisés à la prévention des maladies saisonnières. La grenade sort de l’agriculture traditionnelle pour être cultivée sous des formes plus modernes et plus rentables pour les fermiers. Et depuis deux ou trois ans, c’est à un véritable boom de la grenade que l’on assiste : alors que pendant des décennies, les cultivateurs de la meilleure grenade du monde devaient s’échiner à chercher en vain des acheteurs, ce sont les commerçants qui viennent maintenant directement à eux, et achètent la production du verger tout entier dès l’apparition des premières fleurs…

Source : Xinhuanet.com

C’est la saison des grenades, et on ne pouvait se quitter sans vous livrer une recette secrète : celle du dessert afghan firni, version hivernale, à la grenade donc…

Ingrédients :

  • 4 cuillère à soupe de maïzena
  • Une cuillère à soupe d’eau de rose
  • 1 litre de lait
  • 1 cuillère à café de cardamome en poudre
  • Une grenade bien rouge
  • De la mélasse de grenade
  • 2 cuillères à soupe de sucre

Diluer la maïzena dans 1/4 de litre de lait. Commencer à faire chauffer le reste du lait, puis verser la préparation dedans. Verser l’eau de rose, le sucre et la cardamome et bien mélanger. Continuer à remuer jusqu’à ce que le mélange s’épaississe. Quand vous sentez vraiment une résistance, verser le mélange dans un plat creux et mettre au frais au moins une heure. Verser ensuite dessus la mélasse de grenade et les grains de grenade et déguster. (Pour la version classique, saupoudrer d’amandes et de pistaches écrasées).

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